J’y suis enfin allée. J’ai poussé les portes du plus exotique des Musées parisiens, à la rencontre des Kanaks. Il aura fallu que 22 000 km nous séparent, pour qu’ils acceptent enfin de « montrer leurs Visages »*. Pendant de nombreuses années, j’ai vécu à côté d’eux plutôt qu’avec eux. Il était difficile de les faire parler d’eux-même, car la Parole (Nô*) est sacrée. Seul « l’ancien », le chef (dit aussi « le grand aîné »), est en mesure de palabrer*. Il s’exprime à travers la coutume. « Faire la coutume », c’est s’engager dans une relation précise avec un individu, c’est se connaître et se reconnaître l’un l’autre. À cette occasion, les responsables coutumiers prononcent de longs discours, récitent les généalogies, et leurs histoires. Les échanges de paroles s’appuient sur des dons, dont les plus importants sont traditionnellement les monnaies et les ignames. On comprend mieux pourquoi la « Parole est un Art » dans le Monde kanak. La Parole est créatrice. Parler pour parler n’existe pas.
Grâce à cette exposition, j’ai re-découvert les grandes pièces d’Art qui ont émerveillé mes yeux d’enfant. Chambranles sculptées, flèches faîtières, bambou gravé, haches ostensoirs de jade, statuettes et ornements d’une large diversité, gigantesque masque de « deuilleur »… Toutes ces œuvres exhalent une puissance exceptionnelle. Au son de la flûte, ou de paroles chantées, je me suis baladée, j’ai voyagé, je suis entrée dans le Monde kanak. J’ai entendu leur message.
Mon pays, la Nouvelle-Calédonie, se trouve politiquement à la croisée des chemins : l’autodétermination prévue par l’Accord de Nouméa doit avoir lieu entre 2014 et 2018, et renvoie à un « destin commun » à bâtir, dans lequel la Société kanak se lie aux autres, pour construire une société commune nouvelle, et une identité contemporaine.
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Kanak, L'Art est une parole Du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014 Musée du Quai Branly 37, quai Branly 75007 Paris
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Le parcours de l’exposition: ma sélection
Cette exposition, la plus importante réalisée sur la Culture kanak, rassemble plus de 300 œuvres et documents inédits, issus de collections publiques d’Europe (Autriche, Suisse, France, Allemagne et Italie), et de Nouvelle-Calédonie. L’exposition concilie 2 points de vue : celui du Kanak qui regarde ces visiteurs venus d’un autre monde, et celui du marin, du colon ou du missionnaire européen sur la vie et la parole kanak. J’ai été émue tout au long de ce parcours circulaire dense et intense. Il représente la rondeur de la case, la boucle bouclée. Après être entré en Terre kanak à la découverte des « 5 Visages » (némèè), on observe leurs « Reflets » (komè). Ils représentent l’évolution chronologique du regard occidental sur le monde kanak. Ce parcours semé d’embûches, se clôture sur une heureuse rencontre: celle d’une possibilité de se créer une identité commune.
– J’ai beaucoup aimé découvrir le cycle immuable de la culture de l’igname. Il m’a permis de mieux comprendre l’indéfectible attachement du Kanak à sa terre et de mieux saisir le drame que fut la spoliation de cette terre.
– J’ai adoré découvrir et regarder les objets du quotidien (couteaux à ignames, vêtements…).
– J’ai été saisie devant l’importance des ancêtres et des « esprits » (Bèmu ma rhee) (rêve, pierres magiques, masques).
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J’espère que cette découverte d’une partie de moi, de la Culture kanak, vous donnera envie d’aller voir cette magnifique exposition!
xx. Ceedjay.
*Dans la tradition kanak, se présenter revient à montrer son visage (némèè).
* En langue ajïe, l’une des 28 langues kanak toujours parlées.
* Mot utilisé pour désigner une discussion organisée selon les usages de la coutume…
Légende du drapeau Kanak : Version originale cousue à la main par les femmes du mouvement. Ce drapeau a été présenté et choisi pour être l’emblème kanak lors 13e Congrès de l’Union Calédonienne tenu à la tribu de Petit-Couli (Sarraméa) en novembre 1982 – Collection Marie-Claude et Jean-Marie Tjibaou.
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